Fin septembre 2020, les différents partis en présence ont accordé leurs violons pour mettre sur pied le Gouvernement Vivaldi avec à sa tête Alexander de Croo. Dans l'ombre de Paul Magnette, son mentor, Thomas Dermine a été un des grands artisans de cet accord, usant de tout son charisme pour arrondir les angles entre les différentes parties. Quand le bourgmestre de Charleroi lui annonce, sourire aux lèvres, qu'il a intérêt à mettre une cravate le lendemain car il va devoir prêter serment devant le Roi, le trentenaire tombe des nues et dans les bras de son président de parti. Secrétaire d'État belge pour la Relance et les Investissements stratégiques chargé de la Politique scientifique à seulement 34 ans est une belle reconnaissance pour celui qui a porté le plan CATCH pendant quatre ans. Une reconnaissance mais pas un aboutissement pour Thomas Dermine qui a troqué sa belle chemise de la prestation de serment pour un bleu de travail qui lui sied mieux. Quelques mois après, c'est 89 projets qu'il porte sur la table de la Commission Européenne pour accélérer la relance en Belgique. Deux projets concernent directement Charleroi. Entretien avec ce Carolo qui connait bien les besoins de sa région.
Comment le plan de relance fédéral a-t-il été nourri par votre travail au sein de la cellule CATCH ?
"Au fédéral, on travaille à une autre échelle mais il y a des choses qui sont comparables. Dans mes nouvelles fonctions, on doit également mettre différents acteurs ensemble pour construire des projets qui sont des projets résolument ambitieux pour bâtir l'avenir du pays. C'est malgré tout également différent parce qu’on a des moyens qui sont sans commune mesure avec ce qu'on dispose au fédéral. La Commission européenne soutient très fort la Belgique et donne des orientations assez strictes pour le plan. Mais, en tout cas, ce qui relie les deux initiatives c'est la volonté de mettre des acteurs qui portent des projets autour de la table pour travailler ensemble à construire le futur."
De manière concrète, il y a deux projets qui devraient émerger à Charleroi. L’un chez A6K-E6K, l’autre au Biopark. L’engineering et la biotech étaient déjà deux axes prioritaires identifiés chez CATCH.
"Oui, nous restons cohérents. Dans le cadre du plan CATCH, on a travaillé sur le développement d'écosystèmes sectoriels. Dans un écosystème, il y a des entreprises, des outils de formation et des outils de recherche. Ce qu’on avait diagnostiqué dans CATCH, ce que ce qui était le plus compliqué à Charleroi se situait au niveau des outils de formation. Historiquement, à Charleroi, il n’y a pas d’universités. Or il y a des secteurs qui ont besoin de main d'œuvre qualifiée. On a des entreprises - industrielles ou dans le Biopark - qui ont besoin en nombre de profils qualifiés. Avec le plan de relance, on vise à répondre à ce trou. Que ce soit à Gosselies avec le projet de biotech school qui vise à véritablement former les talents de demain qui vont travailler dans les entreprises de pointe du Biopark ou que ce soit avec le projet A6K - E6K juste le long de la Sambre en ville où on vise vraiment à travailler dans la continuité des projets qui avaient été portés."
L’enjeu, c’est de trouver de l’emploi dans la région de Charleroi pour ceux qui n’en ont pas ?
"L’enjeu, il est double ; c'est ça qui est fantastique. C’est à la fois de travailler sur la thématique de la mise à l'emploi à Charleroi; et on sait qu'on a toujours un problème de chômage qui est important. Et, à la fois, c'est de s'assurer que nos entreprises qui construisent le Charleroi demain aient les talents et la main d’œuvre nécessaire à leur développement."
Au niveau fédéral, il y a 89 projets qui ont été proposés à l’Europe pour approbation. Deux concernent Charleroi. C’est un ratio normal ? Comment cela se passe-t-il à ce niveau-là ?
"Je pense qu'il ne faut pas raisonner en termes de localisation des projets parce que si, effectivement, il y a deux projets qui sont territorialisés à Charleroi, il y a beaucoup de projets qui sont transversaux. Je prendrais comme exemple un grand projet de la Fédération Bruxelles-Wallonie qui est la rénovation énergétique des écoles. Il s’agit donc de rénover les bâtiments pour les rendre plus performants d’un point de vue énergétique mais surtout de les rendre plus confortables pour les élèves. C'est un projet qui porte sur l'ensemble de la Wallonie. On a aussi des projets de construction de nouveaux logements y compris des logements sociaux. Des projets qui sont pour l'ensemble de la Wallonie. Effectivement, il y a deux projets spécifiques qui sont localisés à Charleroi mais il y a aussi toute une série de projets transversaux sur la Belgique et aussi toute une série de projets transversaux sur la Wallonie qui auront des implications à Charleroi. Mais il y a aussi des projets pour les industriels. Des projets hyper avant-gardistes. Je pense, par exemple, à des projets autour de l'économie de l’hydrogène où Charleroi va être une des zones pilotes pour la Belgique. Il y a vraiment beaucoup de projets qui pourront être menés depuis Charleroi pour projeter l'économie et la société belges dans le futur."
Quand on porte des projets transversaux, il faut beaucoup dialoguer avec les autres régions mais aussi avec tous les départements. Vous pensez avoir ouvert les yeux à certains sur ce qui se passe à Charleroi.
"Je pense qu'il ne faut pas s'excuser de dire qu'il y a beaucoup de projets en fait qui sont des projets urbains. Il y a beaucoup de projets à Bruxelles, il y a beaucoup de projets à Anvers, il y a beaucoup de projets à Gand, il y a beaucoup de projets à Liège, il y a beaucoup de projets à Charleroi. Je pense que c'est important parce que les villes concentrent non seulement une partie importante des problématiques sociales et d'emploi actuelles mais jouent également un rôle fondamental dans la transition environnementale. Or ces fonds du plan de relance sont alloués en grande partie pour accélérer la transition vers une économie décarbonée et vers une économie plus verte."
Ce plan de relance s’articule autour de trois axes avec le côté vert, le côté social et le côté entrepreunarial.
" Il y aussi tout le côté digital. Sur les 89 projets au total pour la Belgique pour une enveloppe grosso modo de 6 milliards, il y a beaucoup de projets d'infrastructure. On a environ 60 projets d'infrastructure. Pour de l'infrastructure énergétique et de la rénovation des bâtiments pour permettre la transition environnementale. Il y a aussi beaucoup de projets sur le digital avec à la fois des projets de formation mais aussi des projets d'infrastructures digitales ou de digitalisation de certains pans de l'administration publique. Ensuite, le troisième volet qui compte encore pour 20%, ce sont des projets de recherche. Dans la technologie du futur, il y a des entreprises de la région qui vont pouvoir aller travailler. On a, par exemple, un gros programme de recherche dans l'aéronautique. Comment fait-on pour rendre les avions plus écologiquement responsables et rendre l'aviation plus verte ? Dans ce secteur, des gros projets vont voir le jour. On imagine que des entreprises bien connues de la région dans l'aéronautique vont pouvoir se positionner. On a aussi des projets sur la recherche nucléaire. A Fleurus, on a un centre de recherche autour des radio éléments. Ce centre va travailler sur ces aspects pour les isotopes et la lutte contre le cancer. Donc, en matière de recherche, on a des vraiment des entreprises d'excellence à Charleroi et elles pourront s'inscrire dans la dynamique du plan de relance."
À la présentation de tous ces projets, on a le sentiment qu’ils auraient existé avec ou sans la crise sanitaire.
"La crise sanitaire a permis deux choses. Premièrement, de changer le logiciel en matière d'investissements publics. Il y a encore deux-trois ans quand les États membres voulaient faire des plans d'investissement la Commission leur disait que ça ne rentrait pas dans les clous budgétaires. A la Commission, aujourd'hui, on se rend compte que si on veut sortir de la crise le plus vite possible. Il faut éviter de reproduire ce qu'on a fait en 2008 – 2009 : à cette époque, on a coupé les robinets financiers et, en conséquence, on est restés très très longtemps dans la crise. En fait, il faut sortir de la crise en investissant. Il y a donc vraiment un changement d’un point de vue budgétaire : aujourd'hui, les États membres ont les moyens d'investir. Deuxièmement, avec la crise sanitaire, je pense qu'on a tous fait l'expérience traumatisante d’un choc systémique. Un choc qui embrasse toute la société qui est à l'arrêt pendant plusieurs – beaucoup – trop longs mois. Quelque part, il y a aussi un changement de psychologie collective sur le fait qu’on se rend compte que si on veut se préparer pour l'avenir il faut investir notamment pour éviter d'avoir dans le futur des chocs importants comme on en a connu avec le coronavirus."
Quelle est la prochaine étape ?
"On va rendre notre plan final à la Commission européenne au printemps et ensuite on espère avoir les premiers financements cet été pour pouvoir commencer les projets à la fin de cette année-ci. La commission est très stricte et on doit réaliser ces différents projets d'investissement au plus tard d'ici fin 2026. On sait que cette période de quatre-cinq ans pour des grands projets d'infrastructures c'est relativement court. Il va falloir déployer énormément d'énergie. Enormément d'entreprises de la région, surtout des entreprises de construction, vont être mobilisées dans les prochaines années pour réaliser ces projets ambitieux pour Charleroi, pour la Wallonie et pour la Belgique."
Quel est le message que vous voulez faire passer auprès des habitants de Charleroi Métropole ?
"Je pense qu'à Charleroi il y a un vrai renouveau d’un point de vue économique avec des secteurs de pointe, avec une approche autour de l'entreprenariat portée par Charleroi Entreprendre. Charleroi va se redresser en se mettant en route d’un point de vue économique. Il va y avoir des chouettes projets pour se former, pour apprendre, pour faire de la recherche. Il y a des entreprises de pointe qui vont recruter dans ce secteur-là. C’est en s’y mettant tous ensemble et en jouant cette dynamique collective que Charleroi se redressera dans les prochaines années. J'en suis intimement convaincu."
Au début de la mission de CATCH, vous aviez été voir un peu partout en Europe les bonnes pratiques, les bonnes dynamiques pour redresser une région. Vous pensez que, dans un temps relativement proche, des missions économiques seront invitées à Charleroi pour montrer les réalisations carolos ?
"A Charleroi, on a une histoire industrielle très très particulière qui fait notre richesse mais qui explique aussi certains défis actuels en termes de reconversion économique. Si bien qu’on doit faire beaucoup plus de travail que dans d'autres villes parce que les défis sont immenses. Je pense que c'est des défis qui prennent beaucoup de temps à être résolus. On ne réfléchit pas sur quelques années mais sur quelques décennies parce que les enjeux sont essentiels. Moi, mon rêve le plus fou c'est de pouvoir, quand je serai vieux - je vous laisse définir à quel âge on est vieux - regarder fièrement tout le travail qu'on aura accompli pour la reconversion économique de Charleroi et finalement créer des opportunités pour les jeunes carolos."