Les mesures sanitaires nécessaires prises dans le cadre de la crise Covid-19 ont eu un impact catastrophique sur l’économie touristique, et les hôtels-restaurants de Wallonie n'échappent malheureusement pas à la règle.
Imaginez-vous un instant dans la peau de Bert Wohrmann, à la tête de six hôtels Van der Valk. 43 ans après avoir ouvert l'hôtel de Nivelles Sud, premier hôtel du groupe en Wallonie, tout est soudainement et brutalement à l'arrêt. Même si ce serial entrepreneur en a vu d'autres au cours de sa carrière, cela reste très dur à encaisser et un ras-le-bol s'installe. Zoom sur un des secteurs les plus grièvement touchés par la crise.
Bert, parlez-nous d'abord un peu de vous. Vous n'aviez que 17 ans lorsque vous avez ouvert un hôtel à Nivelles et vous en gérez six aujourd'hui avec vos enfants. Quelle est la clé du succès ?
"Six hôtels actuellement, mais il y en a eu d'autres ! J'ai lancé Malines que j'ai revendu à mon frère, Arlon que j'ai revendu dans la famille, Bruges aussi... En fait, la clé du succès chez nous, c'est la famille. J'ai la chance d'avoir quatre fistons actifs dans le même domaine et qui sont tous aussi passionnés que moi par leur travail. Cela fera déjà 16 ans en mars que mon fils Ben a démarré l'hôtel à Gosselies, avec l'aide notamment de Sambrinvest.
L'enseigne au Toucan a toujours été une histoire de famille et je pense que c'est notre force. On est actif depuis cinq générations et on détient plus de 120 hôtels dans le monde, avec pratiquement partout un membre de famille à la barre. C'est assez fou, quand on y pense !"
Mars 2020 marque le début de la pandémie. S'en suivent deux confinements et finalement, une activité presque à l'arrêt pour vous depuis 1 an. Comment fonctionnez-vous pour l'instant ?
"Nos restaurants sont fermés comme tous les autres, même si nous avons beaucoup plus d'espace pour respecter les distances de sécurité. On continue d'accueillir des clients, mais le petit-déjeuner se prend en chambre et nous proposons aussi une carte réduite s'ils souhaitent manger un petit bout en chambre le soir.
C'est la même chose avec la formule de Hotel Working qu'on a mis en place ici à Nivelles. À partir de 65 euros par jour, on peut louer une suite où, en plus du calme propice au travail, on trouvera un bureau bien dégagé, de quoi prendre des notes, un réseau wifi haut débit et une prise ethernet en cas de besoin, une machine à café, une petite terrasse pour souffler cinq minutes entre deux visioconférences... et même un lit pour les petites siestes réparatrices. Il y a aussi la possibilité de recevoir un lunch box apporté par le personnel directement dans la chambre ou de choisir un des plats qui est à la carte (réduite) du restaurant.
On essaie de se réinventer et surtout de maintenir une forme de contact avec notre clientèle, mais il est clair que cela reste du bricolage au regard de notre activité en temps normal, cela sert avant tout à garder les équipes en activité, de les garder actives par roulement. Elles souffrent beaucoup de cet arrêt prolongé vous savez, non seulement financièrement (plus que 70% de leur salaire, plus d'heures supplémentaires ni de pourboires), mais aussi psychologiquement. On perd d'ailleurs déjà une partie de l'équipe, car elle ne s'en sort pas et change du coup d'orientation. Refaire une équipe solide et efficace au sortir de cette crise, ce sera une épreuve aussi."
Est-ce que la clientèle a changé elle aussi ?
"Bien sûr. On a perdu la clientèle étrangère forcément, une bonne partie de la clientèle business et surtout toute la clientèle liée aux événements publics et privés (séminaires, baptêmes, mariages, salons, etc.). Aujourd'hui, nous avons essentiellement des couples, et beaucoup de jeunes d'ailleurs, qui en ont marre de chercher enfermés chez eux et qui cherchent à s'évader et à changer d'air en ces temps de crise. Nos piscines sont accessibles, donc ça donne un peu l'idée d'être en vacances. Par contre, ils ne respectent pas toujours les normes imposées, il y en a parfois qui viennent séparément et se retrouvent en cachette la nuit pour faire une Covid party dans une des chambres. C'est triste, car cela impacte aussi négativement notre secteur, qui est déjà un des plus durement touchés par la crise.
Dites-vous aussi que notre taux d'occupation est tombé à 40%, moins le chiffre d'affaire du restaurant et des événements. Cela représente beaucoup d'argent. Il faut aussi se dire qu'on ne pourra pas récupérer tout cela directement quand on pourra rouvrir, il faudra sans doute encore un an après réouverture pour revenir à la vitesse de croisière."
En septembre dernier, vous annonciez deux projets d'hôtels supplémentaires, dont un à Charleroi Centre. J'imagine que cette deuxième vague vient contrecarrer vos plans ?
"Nous avons obtenu le permis déjà pour Charleroi Centre mais pour l'instant tout est en suspens évidemment, notamment au niveau des banques et des subventions de toute façon. Il est clair que pour le moment, les nouveaux projets et emplois que je comptais créer dans la région vont rester dans les cartons encore pour quelques années, le temps qu'on récupère notre vitesse de croisière... si tout va bien."
La salle du restaurant de l'hôtel Nivelles Sud, désespérément vide.
Votre relation avec Sambrinvest remonte déjà à 2002... Quel rôle avons-nous joué dans vos projets et est-ce qu'on a été au rendez-vous face à la crise ?
"Notre relation avec Philippe Tielemans, investment manager chez Sambrinvest, remonte même avant 2002 ! Nous avons été en contact pour la première fois quelques années avant pour le projet d'hôtel à Gosselies, mais à l'époque nous étions encore dépendants de la holding familiale en Hollande, qui ne croyait pas au potentiel du Pays Noir. Dès qu'on a obtenu le clearing, on a foncé et Sambrinvest nous a suivis dans l'aventure. On a bien fait d'y croire finalement, puisque les chiffres ont doublé en 16 ans, même si l'année 2020 vient contrecarrer cette évolution. On a eu le soutien d'autres partenaires aussi pour nos projets à Liège notamment, et tous nos projets bénéficient aussi de subventions pour le nombre de jobs créés.
Par rapport à la crise, il est vrai que Sambrinvest a été réactif, d'abord dans les reports d'échéances de 6 mois sur tous les crédits et plus récemment avec une franchise de 14 mois supplémentaires sur le prêt de 2 millions d'euros pour nos travaux à Nivelles. Je ne crains pas l'invest, au contraire, on a de bons contacts et un soutien flexible, je sais qu'il m'aidera à sauver les 600 jobs que j'ai créés."
Et au niveau des banques et du gouvernement, comment ça se passe ? On sait que le secteur Horeca est un des grands oubliés de la crise...
"Au niveau des banques, c'est simple, tout est bloqué. Le secteur est sur liste noire, on ne peut même plus faire un leasing de voiture. On nous parle de crédits Corona mais à un taux d'intérêt de 3% alors qu'on est en rente négative, ce n'est pas de l'aide ça. Pour nous, la meilleure solution, c'est le moratoire. Le remboursement d'un hôtel se fait généralement sur 15 ans, alors qu'on le fasse sur 16 ou 17 ans plutôt que 15, qu'est-ce que ça change ?
Au niveau du gouvernement, nous avons reçu 9000€ d'aides depuis de le début de la crise. Or, nous avons plus de 100 000 € de frais fixes incompressibles par mois par hôtel, auxquels s'ajoutent les encours des dépenses stratégiques de développement engagées juste avant la crise et la perte de rentabilité dû aux normes et fermetures imposées. Je vous laisse faire les calculs.
On nous impose de rester fermés alors qu'on laisse les avions voler, les écoles et tous les magasins ouverts... On voit d'ailleurs que malgré la fermeture du secteur, les chiffres ne se sont pas pour autant effondrés. Ce qui est sûr, c'est qu'il faut pouvoir nous octroyer des compensations décentes et réalistes, sinon on finira par n'avoir que des cadavres dans notre secteur. Il y a trois mois, j'avais déjà interpellé les Ministres pour savoir comment on allait survivre, et on m'avait répondu de me débrouiller... Or, il ne s'agit pas seulement de la santé économique de nos entreprises, mais aussi de maintenir l’emploi et le tissu économique local, qui sont les moteurs de la relance. On parle de près de 600 emplois directs et indirects répartis sur nos différents hôtels."
Le Ministre Willy Borsus vient d'annoncer une indemnité forfaitaire de 1000€ par chambre, est-ce que ce sera suffisant ?
"C'est un début, mais ce ne sera pas suffisant. On le rencontre d'ailleurs encore aujourd'hui avec d'autres collègues du secteur hôtelier pour discuter de nos besoins de soutien à court terme, mais aussi pour demander de penser à un plan de relance structuré à plus long terme, quand l’activité reprendra partout.
À titre de comparaison, en France et en Hollande, les gouvernements interviennent à hauteur de 10% du montant du chiffre d'affaire perdu par trimestre pour l'année 2020 ! Sachant que dans notre cas, on fait normalement plus d'un million de chiffre d'affaire par mois, cela représente 300 000€ d'aide potentielle par trimestre. On est sur quelque chose de beaucoup plus cohérent par rapport aux pertes qu'on enregistre de notre côté. Comme les gouvernements, nous estimons que nos autorités doivent prendre leur part de responsabilité aussi."